Changement climatique et stratégies bas carbone : sommes-nous capables de changer ?

01.06.2023

La maison brûle, et pourtant, nous restons à l’intérieur et continuons à laisser couler le bidon d’essence…

Ne vous semble-t-il pas incroyable qu’avec les connaissances scientifiques et le recul dont nous disposons aujourd’hui, nous semblions être incapables de modifier nos comportements pour la construction d’un avenir bas carbone pour notre propre habitat ?

En tout cas, nous oui !

Alors on a cherché à en savoir plus sur les mécanismes profonds qui nous empêchent, consciemment ou non, de changer nos attitudes et nos habitudes face à la catastrophe annoncée du changement climatique.

Des barrières sociétales, mais aussi individuelles !

La réticence à une évolution des comportements face au changement climatique a bien des sources : économiques, sociales, culturelles, et même inconscientes ! (Stankuniene et al., 2020)

Par exemple, certaines cultures peuvent valoriser la consommation énergétique et donc carbone élevée comme un signe de statut ou de prospérité (comme une climatisation excessive dans certains pays), tandis que d’autres peuvent promouvoir des comportements plus économes en énergie. Autre exemple, le prix des solutions alternatives bas carbone peut être un frein (l’inclusion du coût du chauffage dans certains loyers rend économiquement quasi-inutile une consommation moindre d’énergie).

Ou cette étude récente qui affirme qu’une réduction de la consommation de viande (dont la production contribue fortement à l’émission de gaz à effet de serre) serait associée par certains hommes à une perte de masculinité (Stanley et al., 2023)

Et même si nous parvenions à surmonter toutes ces barrières sociétales, il nous resterait encore à triompher de nos barrières individuelles : manque d’éducation, de motivation ou de revenus, résistance intrinsèque au changement, ou même tout simplement la force de l’habitude.

L’explication est peut-être bien plus proche que nous ne l’imaginons…

Comportements raisonnés et durables : notre cerveau, allié ou ennemi ?

D’un côté, nos émotions. Nous nous sommes tous déjà dit je « sens » que je n’ai pas pris la bonne décision. De récentes études ont affirmé que les émotions sont nécessaires à la prise de décision voire que toutes les décisions sont prises en fonction de ces émotions. Par exemple, une décision procurant une émotion négative aura tendance à être rejetée alors qu’une décision procurant une émotion positive sera conservée (L’émotion et la prise de décision – Delphine van Hoorebeke). Et ces émotions sont la somme de nos expériences passées, toutes basées sur notre culture et notre vie passée dans un monde carboné.

De l’autre, notre cerveau : Et si nous n’étions pas complètement maîtres de nos comportements ? Dans son ouvrage Le Bug Humain, paru en 2019, Sébastien Bohler, docteur en neurosciences et rédacteur en chef du magazine Cerveau et Psycho, s’intéresse aux mécanismes de notre cerveau. Pourquoi répétons-nous – ou abandonnons-nous – certains comportements ? Plus précisément, pourquoi semblons-nous incapables d’adopter de manière durable des habitudes que l’on sait nécessaires à notre stratégie bas carbone ? Pour répondre à cette question, il nous fait remonter le fil du temps : notre cerveau est le fruit de millions d’années d’évolution, et si c’est lui qui nous a permis d’atteindre la « suprématie », c’est aussi lui qui nous met des bâtons dans les roues !

Dans cet ouvrage on découvre l’existence d’une structure, au cœur de notre cerveau, qui pilote presque tous nos comportements : le striatum. Un mot scientifique qui finalement décrit simplement la pompe à dopamine de notre cerveau. La dopamine, c’est cette molécule surnommée « molécule du bonheur » que notre cerveau produit lorsque l’on mange quelque chose de bon ou que l’on fait du sport par exemple. Et ce striatum a été programmé par l’évolution, à une époque où les fermes industrielles et les réseaux sociaux n’existaient pas, pour répondre à 4 besoins fondamentaux :

· La nourriture – pour survivre

· La reproduction – pour disséminer nos gènes

· La dominance – notamment par le statut social, qui permet d’obtenir plus de nourriture et d’attirer plus de partenaires

· La capacité à collecter de l’information – dans un but d’ascension sociale

· Le tout en faisant le moins d’efforts possibles – conservation de nos ressources énergétiques propres oblige.

Et puisque jusqu’au début des années 1900, le monde dans lequel nous vivions n’était pas synonyme de surabondance des ressources, et que la neutralité carbone n’était pas un sujet d’inquiétude, le striatum n’a pas été doté d’un limitateur…

Même si aujourd’hui une très grande partie de l’humanité mange à sa faim, dispose d’un statut social qui lui convient et a un accès quasi-illimité à l’information, notre cerveau nous pousse à en vouloir toujours plus. Et comme on pourra toujours manger plus ou élever plus haut notre statut social, c’est le début d’une spirale infinie.

L’humanité est-elle condamnée à conserver toutes ses mauvaises habitudes, esclave de son propre cerveau ?

Stratégies bas carbone : changer, en toute conscience, est encore possible !

Au niveau personnel, nous avons quasi-systématiquement tous vécu l’échec des régimes amincissants, ou de nos régulières bonnes résolutions bas carbone : le « bonheur » de croquer dans un burger ou d’un trajet en voiture sans effort a souvent raison de notre volonté.

Heureusement, le striatum n’est pas la seule structure de notre cerveau aux commandes ! Notre cortex, l’ «écorce » molle et plissée de notre cerveau, en charge de nos comportements et réflexions complexes, peut être régulé grâce à une arme de poids : notre conscience !

Ralentir et réaliser nos actions en pleine conscience peut nous permettre d’apprendre l’autolimitation, pour consommer et agir plus raisonnablement et plus durablement. Pour cela, il nous faut d’abord (ré)apprendre la frustration et la patience, et prendre le temps de faire la différence entre bonheur chimique et véritable plaisir.

La recherche perpétuelle du « moindre effort » de notre striatum pourrait même être mise à profit : nos comportements, une fois ancrés, sont associés à un renforcement du circuit neuronal qu’ils mettent en action. Le chemin emprunté par le signal nerveux nécessaire à ces gestes ou habitudes se trouve facilité par une surépaisseur de myéline de neurone en neurone – une véritable autoroute ! Ainsi, on répète ces comportements presque automatiquement, sans même avoir besoin de faire l’effort d’y penser. Prendre de nouvelles habitudes, c’est créer un nouveau circuit neuronal, qu’il va falloir renforcer jusqu’à ce que l’information passant par ce circuit circule encore plus efficacement que dans le circuit associé au comportement à changer. Une fois ce seuil dépassé, c’est ce nouveau comportement qui deviendra alors automatique – et en demandant moins d’efforts.

Certaines analyses ou études prédisent entre 21 et 66 jours en moyenne pour un changement de comportement (Faut-il forcément 21 jours pour changer une habitude ?)

« Prendre de bonnes habitudes » demande donc un peu de temps, et de répétition, pour enfin devenir automatique.

Enfin, au niveau collectif, changer de point de vue, et adopter de nouveaux récits de société pourraient aussi aider à adopter durablement des comportements compatibles avec nos objectifs bas carbone. Redonner du sens à notre monde et à nos sociétés, valoriser la coopération, la convivialité et les projets de société ou encore mettre à profit notre imagination non plus pour anticiper des scénarios catastrophe mais plutôt pour imaginer de nouvelles pistes d’action vers la neutralité carbone peut rendre possible ce qui, hier encore, semblait impossible !

Notre striatum nous donne accès à la dopamine en fonction de la norme sociale. Si la norme sociale valorise la sobriété, c’est-à-dire que les leaders de la société adoptent un comportement bas carbone, notre striatum nous donnera du plaisir lorsque notre comportement tend vers la sobriété.

Agir en conscience, accepter de changer, reconstruire nos repères, pour reconstruire nos liens neuronaux : voici quelques pistes pour nous aider notre cerveau à lutter contre les raisons du changement climatique.